Le confinement a été imposé aux Français à partir du 17 mars 2020 à 12 heures pour les protéger de la propagation du Covid-19. En raison du risque sanitaire, il a été globalement accepté. Il est un miroir grossissant des inégalités sociales et permet de faire une typologie de la société française dans l'épreuve. Il a des conséquences psychologiques immédiates et à long terme, avec une typologie superposable aux souffrances.

L'enquête Ipsos-Sopra-Steria pour le Cevipof [1] mesure la perception de la qualité de vie après un mois de confinement et les effets sur l'état psychologique et la santé des confinés. Les deux tiers des Français vivent dans une maison et un tiers en appartement. Pour beaucoup, le confinement est supportable, s'il y a un jardin, et s'il n'y a pas de craintes pour les revenus du foyer. 74% des actifs sont toujours au travail, 41% hors de leur domicile, 33% à domicile, 26% ont dû arrêter de travailler (en congé, arrêt maladie ou chômage partiel).
Les 13% de personnes qui vivent très mal le confinement sont dans des conditions de logement très difficiles (petits appartements, pas de balcons), ont des revenus faibles, des statuts précaires ou sont dans des situations extrêmes. En matière de santé, 7% des Français consomment plus de somnifères et d'anxiolytiques; 13% ont augmenté leur consommation d'alcool, 30% ont des troubles de l'appétit, 21% une baisse de l'estime de soi, 30% des difficultés de concentration et 33% disent souffrir d'isolement. Les conséquences du confinement sont variables selon la situation (confinement en famille, en couple, seul), le mode de vie antérieur, la personnalité, les antécédents psychologiques.
Peut-on parler de bonheur quand le monde est malade?
Le premier type de confinés est constitué de ceux qui vont bien. "Liberté, Égalité, Fraternité" est la devise de la France. La Liberté est réduite par le confinement et la population française pour le moment l'accepte. La France est jacobine et en même temps chacun prend ses libertés propres et a son avis face à un gouvernement qui doute et a du mal à tenir une autorité. La France est diverse. Dans la grande majorité, les gens se sont accommodés de la situation et ont trouvé leurs propres solutions pour surmonter cette épreuve. Oui, on a le droit d'être heureux pendant le confinement, malgré les chiffres sinistres des réanimés et décédés donnés chaque soir par le média froid télévision.
Ceux qui vont bien ont réussi à s'adapter et à intégrer la réalité du confinement dans leur vie. Ils apprécient de télétravailler, de passer du temps avec leurs enfants ou leur conjoint. Ils profitent de ce temps plus calme pour se détendre. Dans le temps libéré, ils peuvent enfin faire des choses désirées, souvent créatives. Ils font aussi beaucoup de cuisine! Les flux de farine restent tendus à cause des ateliers pâtisserie familiaux. On se met à faire du pain avec de la levure de boulanger. On achète des légumes et on s'essaye à de nouvelles recettes qui sont à la mode. Le chou-fleur a ses lettres de noblesse; il est rôti entier au curry. On arrive à le faire manger aux enfants lorsqu'il est râpé et aplati en pâte à pizza après avoir été essoré dans un torchon. Les familles réunies se sentent bien, les bobos et les hipsters expérimentent. Les couples se retrouvent. Oui, on a le droit d'être heureux.
Souvent, c'est beaucoup plus compliqué, même dans ce premier type. La charge mentale est élevée lorsqu'il faut travailler à la maison, faire faire les devoirs aux enfants, trouver de nouveaux repères avec le conjoint. Les désaccords tournent autour de l'éducation des enfants et la répartition des charges. Mais la plupart s'en sortent.
Toujours dans ce premier groupe, ont des difficultés ceux qui avaient un cadre familial et professionnel stable, mais avaient mis en place des stratégies de fuite, beaucoup d'activités extérieures, sport, liaisons... Ceux-là ont hâte que le confinement se termine et certains ne vont pas très bien. Dans le meilleur des cas, ce sera une vraie remise en question et un travail sur soi.
Le confinement a un impact sur la santé mentale.
Le deuxième type est composé de gens qui commencent à aller mal ou qui décompensent. Le confinement induit un huis clos qui exacerbe les angoisses, les conduites addictives, la violence et la solitude. Les cas de violences intrafamiliales ont bondi de 32%. [2]
L'étude COCONEL (COronavirus et COnfinement) [3] analyse le ressenti et le comportement des Français face à l'épidémie de Covid-19 et au confinement. L'enquête, réalisée après deux semaines de confinement, étudie plus précisément la réponse psychologique, émotionnelle et comportementale des Français.
Le confinement entraîne une dégradation du sommeil avec 74% de plaintes, et une réaction anxieuse. Les femmes et les jeunes adultes sont les plus touchés. 37% des personnes sondées présentent des signes de détresse psychologique. Donc, le confinement et la menace du coronavirus ont un fort impact sur la population. Les personnes les plus vulnérables sont les plus démunis, les victimes de la crise économique actuelle et à venir et ceux qui ont des conditions de logement défavorables avec beaucoup de promiscuité. Les personnes en difficulté ont pris des médicaments hypnotiques et anxiolytiques qui pourront entraîner des dépendances et des effets secondaires avec un retentissement post-traumatique à long terme sur le sommeil.
Plus d'un Français sur trois présente des signes de détresse psychologique. Des symptômes psychologiques apparaissent avec un risque accru de troubles psychiatriques, anxieux et dépressifs. La détresse est très élevée chez les jeunes adultes entre 18 et 25 ans. La prévalence est de 55% pour les personnes ayant les plus bas revenus et de 58% pour ceux qui vivent dans des appartements surpeuplés. La santé mentale se dégrade fortement. Certains renoncent aux soins; d'autres jeunes sans antécédents décompensent en ayant des bouffées délirantes aigües à thèmes de persécution ou autour de la menace du coronavirus. On peut penser qu'à la levée du confinement, les pathologies psychiatriques seront favorisées et il y aura des cas de stress post-traumatiques.
Les plus fragiles
Le troisième type de confinés concerne ceux qui sont confinés dans leur confinement. Il s'agit de ceux qui sont dans des établissements de type Ehpad, médico-sociaux ou des prisons. Il s'agit de personnes particulièrement fragiles. Soit, elles n'ont pas été assez protégées dès le début de l'épidémie et le virus a pu envahir les lieux. Ceci a entraîné une surmortalité et une énorme peur. Soit, a été mis en place un isolement, personne âgée dans sa chambre, prisonnier dans sa cellule, arrêt des visites, des parloirs et des activités. Ces situations créent une très forte anxiété, des décompensations psychiques, des confusions, des syndromes de glissement. Dans les établissements psychiatriques et médico-sociaux, l'équilibre est très difficile à trouver entre la prise en charge, l'application des gestes barrières et l'isolement. On a vu des situations extraordinaires, les soignants se confinant avec les résidents. D'autres qui ont frôlé la déshumanisation. Ni fleurs ni couronnes. Ce coronavirus, par sa contagiosité, a entraîné l'isolement de personnes en état de très grande fragilité. Le contact avec le proche infecté étant interdit, beaucoup sont morts seuls. Cette contagiosité a aussi des effets sur les rituels funéraires.
Les exclus
Les toxicomanes errants et les sans-abri sont les seules âmes dans les rues désertes. Ils n'ont pas de quoi manger. Il y a peu de points d'eau. La crise sanitaire rend visibles, au sens propre du terme, ceux qui étaient invisibles ou qu'on ne regardait pas. Ce sont les confinés dehors. Leur état physique et mental va s'aggraver, malgré les efforts des associations qui s'en occupent.
"Liberté, Égalité, Fraternité"
L’égalité? Cette crise sanitaire révèle au grand jour les inégalités sociales. Elles sont criantes.
La Fraternité? Elle est grande et la solidarité permet à beaucoup de survivre. Cependant, comme il y a cette grande peur de la contagion, il faut rester très attentif à ne pas flirter avec la déshumanisation et l'atteinte aux libertés.
[1] Centre de recherches politiques de Sciences Po; résumé de l'enquête dans" Le Monde" 22 avril 2020.
[2] Ministère de l'Intérieur, 26 mars 2020.
[3] Le consortium COCONEL réunit des chercheurs. L'enquête est réalisée par l'institut de sondage IFOP sur un millier de personnes.
Mots-clés : confinement, Covid-19, inégalités sociales, troubles psychiatriques
Commentaires