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Art-thérapie

  • Photo du rédacteur: Annie Boyer-Labrouche
    Annie Boyer-Labrouche
  • 31 août
  • 8 min de lecture

Jai eu l’honneur de faire une conférence au Sommet Francophone d’art-thérapie. J’en suis très heureuse car cela m’a permis de faire le point sur mon histoire professionnelle et ma pratique de 40 années, et de me confronter avec plaisir à l’évolution de l’art-thérapie qui paraît inéluctablement la mener vers une profession. Mais, ô combien de richesses, mais aussi de pièges. « L’art au service du soin », la formule est de moi, mais n’est pas brevetée, hélas ! Elle est apparue dans mon premier « Manuel d’art-thérapie » et je trouve qu’elle sonne bien. Je vois qu’elle est très régulièrement reprise, jusqu’à être le titre d’une communication lors d’un récent congrès.


Bouquets - Photographie par A. Boyer-Labrouche 2025
Bouquets - Photographie par A. Boyer-Labrouche 2025

Le désir

Il s’agit d’une pratique en pleine expansion. D’une pratique désirable, c’est là son succès. C’est aussi son problème. Elle est particulièrement désirable dans notre époque de transition où le désir de se reconvertir pour beaucoup de personnes est puissant. Je passe sur les difficultés de trouver sa place dans les entreprises, de trouver du sens à son travail, de la souffrance au travail, des conséquences de la pandémie de COVID, du flou politique général, du non contrôle de la profession, entraînant des dérives, déficit de formation, dévalorisation en la pratiquant dans le cadre du bien-être, dérivant vers le charlatanisme. L’art-thérapie peut se trouver dans ce désir d’avoir enfin un métier qui ait du sens, s’occuper, voire prétendre soigner les autres, mais qui soit confortable, agréable grâce à l’utilisation de l’art, à la limite du jeu, sans contrôle ni responsabilité professionnelle et avec la liberté d’une rémunération qui peut être tout à fait supérieure à celle des professions réglementées, sans avoir les responsabilités ni les charges. C’est très curieux et assez effrayant qu’on en soit arrivé là.

                                        

Art et soin

Les pionnières : Margaret Naumburg, Édith Kramer, Florence Cane, sont issues du soin, psychologues, éducatrices, enseignantes, artistes, poètes. En France, globalement, il y a deux pistes originaires, qui sont en lien avec l’histoire des hôpitaux et de la psychiatrie. Dans les établissements psychiatriques, il y avait depuis le 19e siècle des ateliers qui avaient vocation à occuper les malades, mais aussi à les aider, les rééduquer. Ces ateliers sont aussi à l’origine de l’ergothérapie. Les ergothérapeutes se sont aussi emparées avec beaucoup de désir et de vigueur de l’art-thérapie. Dans tel hôpital psychiatrique toulousain, les infirmières des ateliers de « thérapies médiatisées », appelés ATM, se battent pour faire respecter leur statut d’art-thérapeute. Elles sont obligées d’annuler régulièrement leurs séances pour raison de service, alors que les ergothérapeutes ont leur chasse gardée où elles peuvent faire ce qu’elles veulent sans être inquiétées par une quelconque hiérarchie. Un désir de pratiquer l’art-thérapie qui introduit bien des clivages, ce qui n’est pas sain dans une institution.


L’autre origine de l’art-thérapie, plus souvent appelée « Psychopathologie de l’Expression », vient des créations spontanées de patients atteints de maladies mentales, hospitalisés au long cours. Dans ces hôpitaux où les malades mentaux sont restés à vie, certains se sont mis à créer de manière intensive, avec ce qu’ils avaient sous la main. Quelques grands noms de ces créateurs restent, qui ont fait de véritables œuvres. Certains psychiatres se sont intéressés à ces œuvres qu’ils ont trouvées majeures, sublimes. Ils ont pu encourager les patients, collectionner leurs œuvres, les protéger, les conserver et les faire connaître.


La vie intérieure

L’art, alors qu’est-ce que c’est que l’art ? L’art, c’est tout simplement la vie intérieure, qui dans certains cas devient lumière intérieure. Cette lumière va éclairer le monde pour le protéger de l’obscurité ou la dénoncer. C’est une puissance et un souffle vital. L’art est la capacité de créer quand il n’y a plus rien. Je suis frappée par ce que fait Nicole Bergé au camp de Rivesaltes. Depuis une vingtaine d’années, elle se promène dans les espaces autour du camp et ramasse tout ce qu’elle trouve. Cette « artiste cueilleuse » fait sa collecte et la trie dans sa maison. Ainsi, du néant, grâce aux traces laissées par des objets qui ont été touchés par des humains, elle est porteuse de la mémoire de l’histoire de gens qui ont disparu, dans un effacement de l’humanité : internés, réfugiés espagnols, juifs voués à l’extermination, tsiganes, harkis. Enfermés dans des camps de détention administrative. Tous, des « étrangers indésirables ». Nicole Bergé s’est aperçue que des morceaux de métal avaient été transmutés en œuvres, par exemple elle a trouvé une danseuse sur pointe façonnée dans un bout de métal. Elle dit que « quand tu n’as plus rien, tu crées », sinon « tu deviens fou ». Cependant, tout le monde n’a pas la force, même si nous pensons que tout le monde a la lumière. Dans mon film « Métaphore de la friche », j’ai illustré le travail psychique comme une déambulation, autour de zones en friche, à la recherche de traces laissées par l’homme, tags, charbons de bois du feu de camp, parcours menant à l’eau originaire dont l’écume cache la profondeur.


Mon parcours

Je suis née dans une pharmacie, au sens littéral du terme. Il n’y avait pas de séparation entre la pharmacie et notre habitation. Grouillaient dans cette marmite, les employés plus ou moins pris dans leurs pulsions, et la tribu, les bébés pouvant être « gardés » dans l’arrière-boutique. Et des milliers de boîtes de médicaments. On pouvait jouer à servir, à rendre la monnaie, à faire l’inventaire des arrivages et à ranger les boîtes sur les étagères. Et il n’y avait pas de limites à la vente. Les « 100 pour cent » ressortaient avec des paquets de kilos de coton, et tout à l’avenant. J’ai eu le bac à 16 ans et il n’était pas pensable pour le clan que je ne reste pas dans cette marmite familiale. J’ai donc accepté de faire les études, en sachant que je n’appliquerai pas ce métier, m’intéressant cependant avec ferveur à ce qui m’était appris, en particulier la chimie et la botanique, mais surtout j’ai accepté leur choix car il me permettait de partir de ce lieu. J’ai eu du mal avec les travaux pratiques, j’étais maladroite. Le summum de l’horreur fut une préparation magistrale pour laquelle il fallait faire 20 petits paquets dans un papier blanc à remplir de poudre noire de charbon. Un carnage ! Je garde une certaine méfiance envers les médicaments et moi-même, je ne prescris qu’avec réflexion. J’ai profité de cet apprentissage et j’ai continué par mes études de médecine. La neurologie me passionnait. J’ai décidé de faire mes derniers stages en psychiatrie. J’ai rencontré mon premier maître, le professeur Louis-François Gayral, un homme extrêmement cultivé. Cela a été une révélation pour moi d’apprendre à ses côtés. Il m’a appris ce qu’est la maladie mentale et j’ai eu l’honneur de faire mon CES de psychiatrie dans ses services. La maladie mentale, avec les connaissances théoriques et son histoire des 18 et 19e siècles, le passage au lit du malade, la précision d’une observation, le lien avec la philosophie, la sociologie. J’ai appris que le symptôme s’adapte à l’époque et est aussi un marqueur social.


J’ai poursuivi mes stages à l’hôpital psychiatrique Philippe Pinel de Lavaur. Là, j’ai appris ce qu’est une institution, la psychanalyse, le contact avec la psychose profonde et les thérapies qui lui sont appliquées, la vie quotidienne dans l’univers de la maladie mentale grave. Le docteur Daniel Ajzenberg analysait régulièrement les interactions, les évolutions, la maladie, au cours de réunions de réflexion psychanalytique, ce qui donnait un éclairage particulièrement intelligent, inspirant, passionnant sur l’inconscient, les pulsions, le transfert et le contre-transfert. Il m’a laissé carte blanche pour créer des ateliers, à ma convenance totale, pour cette énorme population de malades mentaux. Ateliers que j’ai nommés « d’art-thérapie » et menés pendant une douzaine d’années. Mon intérêt pour la maladie mentale, le psychisme humain et l’art était comblé. Je pratiquais l’écriture depuis très jeune et je m’intéressais à l’art et à l’histoire sous toutes ses formes. J’ai voulu approfondir mes connaissances et posséder plus de ressources théoriques en faisant une maîtrise d’histoire et une licence d’histoire de l’art à l’université du Mirail, en même temps que mes apprentissages en médecine et pharmacie. Mes passions : l’art préhistorique, le 18e siècle avant la Révolution. Mes personnages  : Casanova, L’homme qui rit, Barbe-Bleue. En art, l’art contemporain et l’art conceptuel. De tout ce bric-à-brac, ressort une unité : l’intérêt pour la psychologie humaine, pour l’art qui est représentatif de la vie intérieure, pour l’histoire nécessaire à la construction d’une société ou d’un individu. L’art-thérapie réunit tout cela. Elle met l’universel dans l’individu, elle est au plus près des pulsions de vie qui renforcent l’élan vital, elle permet de faire ressortir des émotions, elle est au cœur de la narrativité et elle s’inscrit dans l’histoire, de l’humanité et de chacun. Je pense que l’art préhistorique, qui me parle tant est proche de ce que j’essaie de dire. Impérieux, nécessaire, un récit, des croyances, des peurs, des actes de créer qui transcendent vers plus haut que soi. Dans mes ouvrages, « Manuel d’art-thérapie », « Pratiquer l’art-thérapie », j’ai synthétisé ce qu’est pour moi la pratique de l’art-thérapie. Le dispositif est simple, mais l’application très complexe car il s’agit pour l’art-thérapeute de s’occuper d’un autre. Le plus important est le cadre défini dès le départ et à qui il faut absolument se tenir. L’art-thérapeute est un tiers appartenant au dispositif, faisant office de contenant, un espace vacant, un miroir et un être apportant sa bienveillance dans son humanité. Les médiums, quels qu’ils soient amènent la sensorialité à l’ensemble du dispositif, c’est-à-dire qu’ils apportent du corps. Dans cet espace que l’on peut appeler « transitionnel », il va se passer quelque chose, un processus qui va définir l’art-thérapie. Le processus est invisible. Il est fait de la créativité potentielle, de ressentis physiques et psychiques, de transferts et émerge quelque chose de l’ordre de la narrativité de soi, de l’histoire, du désir, de la rêverie, en fait du vivant. Les mêmes processus créatifs sont pour moi, actifs dans la psychothérapie verbale où le mot est le tiers, qui porte aussi le symbole, la croyance, le désir et donc une créativité certaine. Il ne faut donc pas opposer les thérapies verbales et non verbales.


Les conférences et ateliers du Sommet d’art-thérapie francophone ont permis pour moi de confirmer le désir que suscitent ces thérapies. Il a été question de l’art. Bien sûr que l’art est la quintessence de l’homme. Il a été question de la joie. Bien sûr qu’installer des ateliers art – thérapeutique dans tous les lieux fermés, ou d’enfermement, prisons, foyers, hôpitaux psychiatriques, apporte du vivant et de la liberté. Nous sommes du côté de la vie, et pas du mortifère ou de la pulsion de mort. L’ignorance, l’inculture, la pulsion destructrice, sadique, sont hélas de retour en force depuis quelques années, apportant au monde une régression, déniant l’amour, annihilant la protection du vivant et du sacré. Nous nous retrouvons avec des chefs incultes, meurtriers de « leurs étrangers indésirables », de leurs propres fils dont la vie ne compte pas, se comportant dans le réel comme les ogres des contes de fées, meurtriers de la nature, du végétal et de l’animal dans les zones bombardées sans vergogne, détruisant les arbres, l’herbe, l’insecte et l’animal affolé. Il y a un très curieux retour au fascisme de la bêtise, à la voyoucratie avec la prédation du pouvoir et de l’argent, à la gérontocratie avec l’âge élevé de ces autocrates narcissiques et mafieux. Il faut se réveiller. Wake up.


L’art-thérapie est une goutte d’eau d’humanité quand elle est pratiquée de manière rigoureuse et honnête. Elle aussi, doit être protégée et veillée tant les récupérations sont possibles. Tout ce qui a de la valeur peut être objet de prédation.


J’ai écrit ce texte devant mon catalpa (famille des bignoniacées), empli d’oiseaux, le gros pigeon marron à l’encolure blanche venant tous les soirs y faire un tour. Et j’avais la chance que de gros avions ne passent pas dans le ciel pour lâcher des bombes sur mon catalpa. Quoi de plus lâche que de lâcher des bombes du haut du ciel ? Et de salir ainsi le ciel.


« Pour écrire une poésie qui ne soit pas politique Je dois écouter les oiseaux Et pour écouter les oiseaux Il faut que cesse le bruit des bombardiers. »

Marwan Makhoul, 2025. Que le Bombardier se taise. Edition La Kainfristanaise.


Références:

Boyer-Labrouche, A. (2017). Manuel d'art-thérapie. (4e éd.). Dunod.

Boyer-Labrouche, A. (2017). Pratiquer l’art-thérapie. Dunod. https://doi.org/10.3917/dunod.boyer.2017.01.





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Annie BOYER-LABROUCHE

Psychiatre, Art-thérapeute, Ecrivain

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