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Photo du rédacteurAnnie Boyer-Labrouche

Perversion des Nations, le massacre des innocents

Ce qui importe, ce sont les mécanismes de déni et de dévoilement qui permettent d’analyser les systèmes totalitaires induits par la perversion, que ce soit au niveau des États, des familles ou des couples. La perversion est toujours relationnelle et implique des phénomènes d’emprise. Le déni explique que les processus à l’œuvre perdurent et que la soumission des sujets les rende sourds et aveugles. Le dévoilement accélère l’effondrement des systèmes à fonctionnement pervers, le plus souvent brutal et dramatique.





Comment un État passe de la normalité à la corruption, à la perversion, à la paranoïa et à la psychose jusqu’au schizo-fascisme dont l’aboutissement est le massacre des innocents ? L’étude de la psyché permet de comprendre les mécanismes utilisés, qui font appel à l’utilisation dévoyée du langage, l’inversion systématique des responsabilités et des valeurs, la haine de l’autre comme envers de l’amour, l’union dans un délire collectif, l’interdit de tuer devenant un permis, voire une obligation de tuer, embarquant dans ces processus mortifères les jeunes adultes tenus d’être des guerriers, voire des terroristes, l’apothéose étant le massacre des innocents. Comment protéger ses enfants embrigadés par des dirigeants pervers qui utilisent leur peuple comme objet de leur désir de vengeance, de délires impériaux, d’immortalité ? Le massacre des innocents, c’est anéantir les ennemis mais aussi les « siens » qui devraient être aimés et protégés et sont exposés et pris dans la spirale de la violence. Le massacre des innocents dans une nation perverse est un paradigme de l’inceste, les enfants de la Nation étant à la disposition du dirigeant et de ses sbires pour assouvir ses desseins personnels au détriment de l’intérêt de son pays et de son peuple. Cette perversion est activée essentiellement par l’envie, et des idées rétrogrades de vengeance et d’impérialisme fomentées par une interprétation pathologique de l’histoire, se traduisant par la négation de l’intime et de l’individualité. L’action politique est entièrement dirigée sur l’objectif guerrier et la survie du dirigeant qui, luttant pour être immortel, ne peut qu’aller jusqu’au bout. Le système pervers ne lui permet pas de faire autrement et s’emballe jusqu’à l’issue finale toujours violente.


Le déni, qui porte sur une affirmation qu’on conteste, a des conséquences terribles dans la réalité car il permet d’éliminer l’élément fondateur de la nature humaine. Il va s’appliquer à un droit qu’on refuse. Ce refus est illégitime. C’est le déni de ce qui est dû, la justice, le soin, l’amour, la protection, l’individualité. Il est très difficile de le combattre car on s’adresse à du vide. Cela met en rage. La seule solution pour en sortir est le dévoilement. Celui-ci est la mise à nu de tout ce qui se tramait, de toutes les stratégies souterraines, de tous ces mensonges et ces secrets. Le dévoilement permet la sortie de la confusion induite. Y voir clair, d’abord. La perversion est l’envers de la clairvoyance, comme la haine est l’envers de l’amour. La perversion est un lien de ligature et d’emprise. La clairvoyance anéantit le pervers qui met toute son énergie et son intelligence à brouiller l’esprit de l’autre, ennemi ou sujet à protéger qu’il expose, à semer le chaos en créant des conflits pour exercer son emprise sur les êtres. Le pervers ne peut supporter l’intimité, c’est-à-dire le contact avec l’humanité de l’autre. Il est contraint de mettre en place une emprise sur l’autre pour le détruire. Seule, la mise à nu des intentions secrètes et funestes, de la violence sournoise souterraine, de la terreur exercée permet de démasquer le système relationnel pervers.


Semer le chaos pour créer des conflits. La dynamique perverse consiste essentiellement à externaliser le conflit interne, par des manipulations constantes, répétées, infinies, de plus en plus puissantes. Le système tourne comme une vis sans fin, créant un engrenage gauche et s’emballe dans sa propre dynamique sans aucune butée pour l’arrêter. Rien n’est plus jouissif pour le dirigeant pervers que l’embrasement, la mort des autres, leur disparition, leur annihilation. Comme exemple, le discours du Général Zhang Youxia, vice-président de la commission militaire centrale chinoise au forum Xiangshan du 30 octobre à Pékin, qui s’exprime devant des militaires et des diplomates de 90 pays : « Dans le monde d’aujourd’hui, les points chauds se succèdent. La douleur de la guerre, du chaos et de l’agitation, ainsi que la perte des vies humaines, se manifestent constamment. Certains pays, par crainte que le monde puisse se stabiliser, créent délibérément des problèmes, s’immiscent dans des questions régionales, s’ingèrent dans les affaires internes d’autres pays et fomentent des révolutions de couleur. Pour servir leurs intérêts égoïstes, ils enfoncent des clous partout. Ils créent de nouveaux conflits géopolitiques artificiels, puis prêchent l’impartialité tout en favorisant en réalité l’une des parties, ce qui rend les situations régionales complexes et insolubles. En coulisses, ils distribuent des couteaux et n’hésitent pas à provoquer des guerres, s’assurant ainsi que ce sont eux qui profitent du chaos. » Magnifique ! On ne peut mieux décrire la stratégie du chaos et l’inversion de la responsabilisation. Si l’analyse est parfaitement juste, le flou règne sur l’identité des manipulateurs. Il est évident que les manipulations des États sont particulièrement à l’œuvre depuis une vingtaine d’années et que les conflits sont agités par des acteurs qui rejettent leurs responsabilités sur les autres et les inversent. Les conflits actuels relèvent des mêmes principes et font partie d’un même ensemble.


On a déjà vu des dirigeants sortir épuisés d’heures de débats avec leurs homologues. Ils deviennent confus car ils sont pris dans le système relationnel pervers qui va les éloigner de leurs valeurs et leurs principes démocratiques. Évoquer les droits de l’homme a pour réponse immédiate, « Et vous ? », suivi d’un exemple concret de défaillance, ce qui veut dire, « Vous devriez vous taire, vous n’êtes pas parfait, qui êtes-vous pour me contredire ? Vous aussi vous avez failli ». Il s’agit de dévaloriser l’autre pour effacer ses propres turpitudes. Le pervers utilise les failles de l’autre qu’il est particulièrement capable de détecter car il est à l’affût comme un prédateur. Détruire son humanité, son empathie, le mettre face à ses faiblesses, pour le neutraliser. Le langage est un outil de destruction massive, mots inappropriés, changements de ton, passant de la douceur à l’invective, du silence interminable à la logorrhée, flot de mots déversés pendant des heures pour hypnotiser « l’ami ». Le pervers de ce niveau pense que l’autre doit être détruit et qu’il est toujours corruptible. Certaines personnes sont vénales et se laissent corrompre, c’est très courant, et la corruption participe à la solidité du système. D’autres ne se rendent même pas compte du jeu pervers et défendent leur « ami » ; ils chuteront avec lui. D’autres sont menacés, voire exécutés. La mise en scène est toujours soigneusement calculée pour placer d’emblée le dirigeant invité dans l’embarras. Le mettre au bout d’une table de plusieurs mètres est la métaphore de la communication perverse. Faire attendre des heures pour humilier. Faire entrer sans prévenir un chien alors que la dirigeante a peur des chiens. Ces actions sont faites pour paralyser l’homologue considéré comme un adversaire, de même qu’un scorpion paralyse sa proie avec son venin. Le but est d’empêcher l’autre de penser.


Le visage, botoxé ou non, est toujours fermé, inexpressif, indéchiffrable. Il est impossible d’y lire des émotions, ce qui est très déstabilisant pour un humain. Le regard est vide, sauf à certains moments où la haine surgit, les yeux devenant alors des serpents. En réalité, le dirigeant pervers est un mort-vivant qui ne survit que grâce à l’expulsion dans l’autre de tout ce qu’il a de mauvais en lui, en particulier la haine de soi, et qui se nourrit des conflits et de l’emprise mortifère. Faire chuter l’autre pour survivre dans un habillage grotesque. En réalité, le leader suprême est un fétiche. Il est lui-même un objet, objet de culte, objet inanimé qui métaphorise son absence d’humanité, objet qui lui permet de faire de la mort un tabou. D’ailleurs, peut-être est-il déjà mort ?

L’argent est manipulé de façon constante, comme punition, récompense, humiliation. Mais surtout, l’argent est un objet incestuel, qui unit les personnes sous emprise, dans des systèmes étatiques devenus des mafias. L’Etat-Mafia constitue une «  grande famille » perverse. Les membres sont ligotés par la peur, l’intimidation, la manipulation, les secrets, la loi du silence et le profit. Le profit est le nerf de la perversion. L’Etat-Mafia, parasite de la Nation, inverse les rôles entre les citoyens et l’État. La corruption ronge tous les rouages de la société. Les citoyens ne sont plus protégés. Ils sont muselés par la répression. Il n’est plus possible de vivre ensemble, de rire, de faire de l’humour, de se regarder dans les yeux, de se parler, de s’écouter, de transmettre, tout simplement d’être tranquille. Chacun est surveillé. Il n’est plus possible d’être dans la solidarité, sinon à créer des réseaux de résistance.


Le pervers joue sur les mots, les tord et les met au service d’une propagande qui les vide de leur sens. Les faits sont niés ou dénaturés et inversés, de façon à disqualifier toute tentative d’honnêteté et de vérité. C’est la liberté qui est insupportable au pervers. Ainsi, l’existence d’états démocratiques et libéraux est vécue comme un affront par les états totalitaires.


Il faut ajouter que les tableaux cliniques pervers se transmettent à travers les générations. Ainsi, les traumatismes du passé ne passent pas. Si l’on prend comme exemple la dynamique perverse de l’URSS, la machine étatique n’est animée que par la volonté d’un seul homme [1]. Les techniques du pouvoir consistent à dresser les gens les uns contre les autres, en créant le chaos et le désordre, à donner les postes à des incompétents pour les manipuler, à laisser partir ou éliminer les compétents ou les récalcitrants. Ainsi, les sujets de l’empire communiste ont été élevés dans la haine d’autrui et la vision noire de l’homme. Ils sont culpabilisés et transformés en personnes activement sadiques. Mais surtout, la haine de soi vit dans chaque homme soviétique et post-soviétique, tout comme dans le leader suprême.


On arrive aux paradoxes : créer du désordre pour pouvoir placer un ordre totalitaire, créer du lien autour de la haine. Si l’on ajoute la manipulation des idées avec la falsification de l’histoire et la nostalgie de la puissance impériale, tous les éléments sont là pour faire de l’État mafieux un État totalitaire : rupture du lien entre les générations, violence brute, paranoïa, rationalisation des opérations spéciales, manipulations pour introduire le chaos hors du pays. L’expansionnisme n’est qu’un prétexte à la violence et un vieux relent de la perte nostalgique d’un empire, dont l’expression est dans la manipulation : loi bafouée, sortie de tous les traités, délabrement du système judiciaire, mépris pour les démocraties, mégalomanie, déresponsabilisation, mensonges, falsifications, mystifications. Le peuple avale n’importe quoi et est maintenu sous la terreur.


Petit à petit, la réalité devient floue et apparaît la psychose, dans le « double-think » schizo-pervers. On en est là. Avec, hélas, la nécessité d’exporter les conflits car l’emprise interne ne suffit plus.


Le massacre des innocents

Le massacre des innocents devient nécessaire à l’ogre. Pendant 20 ans, il a joué petit bras. Après avoir corrompu une partie des citoyens pour en faire une oligarchie à sa botte, l’ogre s’attaque en sous-marin à l’étranger, corrompant avec la corde adaptée, les affaires en Europe, la dépendance au gaz, essayant de déstabiliser les élections, observant les failles des pays démocratiques. Tous les moyens sont bons, ainsi que toutes les techniques d’intrusion et de corruption, anciennes et modernes. L’ogre enfonce des coins, tant il est envieux ! Il s’habille chez les grands couturiers, fréquente les meilleurs horlogers et joailliers, fait acheter des grands vins. Il aime les bonnes choses et le luxe et est assurément l’un des hommes les plus riches du monde, qui pourtant ne possède rien en son nom propre ! Il se présente comme un célibataire désirable entièrement dévoué à son peuple. Son pouvoir de nuisance s’exerce à son profit, tranquillement, et aussi contre les siens, contre sa femme, contre les femmes, contre ses enfants et il se dit garant de la morale, les autres étant dévoyés.

 

Lorsque Les Républiques Autonomes ont commencé à se différencier de l’Empire, quand un début de dévoilement s’est fait sur ce qui a été enduré sous le régime soviétique, les crimes et les déportations, quand les grands-parents parlent de leur vécu, le lien entre les générations peut enfin se reconstituer. On découvre qu’il y a autre chose que le mensonge. La vérité est un tel soulagement. L’accès à la pensée est ouvert. Cependant, la réhabilitation du lien étant insupportable, le système pervers se remet en marche, avec les modalités habituelles : mensonge, inversion des responsabilités, discours de haine et de terreur. Pour anéantir la résistance, semer la terreur et le chaos, des villes sont rasées. C’est une stratégie de conquête, de punition, d’humiliation. Assiéger, raser, écraser sous les bombes, assoiffer, affamer, pousser à l’exode, déplacer des populations, s’approprier des enfants et leur laver le cerveau. Puis, investir les champs de ruines à son profit.


Napoléon [2]:

« Cela dépasse tout : c’est une guerre d’extermination, c’est une tactique horrible, sans précédent dans l’histoire de la civilisation. Brûler ses propres villes ! Le démon inspire ces gens. Des barbares. Quelle résolution farouche, quelle audace. »


Grosny (1999-2000), Alep (2016), Marioupol (2022). C’est la politique de la terre brûlée. Responsabilités inversées, attentats montés de toutes pièces. Il paraît que ces villes vont avoir des jours meilleurs, que Grosny est maintenant, selon l’ambassadeur de Russie, « Une ville paisible, moderne et excitante, n’est-ce pas la solution que nous recherchons tous ? » Cynisme ou psychose ?


Perversion pure. Cela ne suffit pas à l’ogre. Grosny est un amuse-bouche. Avec les relents parano-schizoïdes mégalomanes, les mêmes méthodes sont appliquées à un pays beaucoup plus grand, soutenu par les ennemis qu’on envie tant et l’on assiste aux mêmes processus, raser, massacrer des innocents à Boutcha. Mais cela ne suffit pas. Il faut agiter le chiffon ailleurs pour détourner, s’amuser, semer le chaos, s’entendre avec d’autres mafieux, préparer des massacres pendant des années, tuer des chefs de milice qui, peut-être, ont eu des scrupules de dernière minute. Continuer dans la spirale des guerres et des massacres, corrompre les médiateurs et faire ami avec ceux qui à la fois financent et négocient.


Le dernier volet de ce massacre concerne les jeunes gens. Quelle jouissance pour l’ogre d’envoyer à la mort tous ces jeunes hommes ! L’espérance de vie d’un soldat russe dans le Donbass est de quelques mois et un très grand nombre finira sa vie avec une amputation. Se débarrasser de tous ces jeunes rivaux est un véritable délice. L’ogre sourit enfin. Il a mis en branle la destruction des générations futures et les conflits qu’il agite un peu partout a les mêmes conséquences. Tous ces jeunes adultes que l’on offre à la mort, en les convainquant que c’est légitime, que c’est leur devoir de mourir pour une cause « juste ». Comme si les enfants de la patrie, dans un immense inceste national, étaient offerts en sacrifice par leurs parents. Plutôt par leurs grands-parents dans ces gérontocraties ! C’est le déni de la notion de génération et c’est l’envers de la transmission. C’est le paradigme de la perversion. Quelle souffrance et quelle bêtise ! Il ne s’agit plus de faire des enfants pour enrayer la chute de la démographie, mais de tuer la génération susceptible d’en faire. Quelle tragédie et quelle souffrance ! Le paradigme de la perversion serait d’enlever les enfants des « ennemis », de les rééduquer, d’en envoyer une partie au combat contre les leurs et d’en garder une autre pour faire des enfants avec les nationaux. Voilà ce qu’est la perversion, la vie humaine n’a aucune valeur et est manipulable, pour créer le flou sur les origines.


Que faire pour enrayer la perversion des Nations ? Comptabiliser les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les génocides. N’avoir aucune tolérance. Stopper les processus dès qu’ils apparaissent. Regarder en face et savoir qu’il y a des ogres qu’il faut mettre hors d’état de nuire. Ne pas invoquer la loi du talion, élever les âmes de ceux qui ont compris. Reconnaître et traiter la souffrance. Faire appel au droit, même si le pervers essayera de le manipuler et il est habile. Pleurer.


Faire appel à l’histoire qui est attaquée par le pervers pour la transformer à son profit comme alibi pour ses méfaits et nourriture pour son délire. L’histoire est une affaire de connaissance, d’empathie, de mise à la place de l’autre. En absence de l’histoire, la psyché est débordée par la mémoire nationale délirante. L’abandon de l’histoire ne débarrasse pas du passé qui va refaire surface sous une forme dévoyée.


Faire appel à la psychologie et la psychiatrie pour mettre à jour les pathologies paranoïaques et schizo-perverses.


C’est le dévoilement, quand il se fait méthodiquement, qui permet de déjouer les manipulations et de mettre l’ogre à nu, dépouillé de son habillage clownesque. Être le Petit Poucet.


 

Notes :

[1] Thom, F. Les fins du communisme, Paris, Criterion, 1994.

[2] Napoléon.org : La retraite de Russie.


Mots-clés : perversion, déni, dévoilement

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