Le film « Métaphore de la friche » est réalisé à partir de photographies prises dans une friche urbaine et industrielle autour de l’usine Job désaffectée, en bord de Garonne, à Toulouse. C’est la métaphore du travail psychique, du chemin intérieur que fait chaque individu tout au long de sa vie, pour réparer ses blessures et trouver une voie d’individuation.
Je présente ici mon film « Métaphore de la friche ». L’idée m’est venue au cours de promenades dans un espace de friches végétales et industrielles dans le quartier des Sept Deniers à Toulouse en Occitanie. Cette zone, en marge de Garonne, avait pour figure de proue, près du fleuve, l’usine Job désaffectée. Ces promenades se sont transformées en pérégrinations. J’ai suivi un itinéraire, une déambulation, définissant ainsi un chemin que j’ai arpenté de nombreuses fois. Je me sentais un « peregrinus », un voyageur, un étranger à la découverte de paysages, urbains et sauvages, en bordure du fleuve. J’ai repéré des endroits précis, représentatifs pour moi d’une trame constituant le fond de mon histoire et dont la liaison fait un récit. Ces endroits ont été photographiés, les usines désaffectées, la maison abandonnée, les espaces naturels, un feu de camp éteint, un palmier, une vitre tagguée d’entrelacs blancs, un long mur taggué de peintures colorées. À partir de cette errance et des images photographiques, j’ai écrit un texte qui a été lu par un comédien. Le film nommé « Métaphore de la friche » a été monté.
Pour moi, ce voyage est la métaphore du travail psychique élaboré par chaque humain tout au long de sa vie, liant passé et avenir.
Ce film correspond à la deuxième partie d’un texte plus vaste composé de 7 sections, autour de la même métaphore. « Être soi-Métaphore de la friche » est un texte en 7 parties. Partie 1 : « Moi » Partie 2 : « Qui suis-je ? » Partie 3 : « Qu’est-ce que mon corps ? » Partie 4 : « Le temps et les niveaux de conscience. » Partie 5 : « Le désir. » Partie 6 : « Comment j’aime ? » Partie 7 : « La rencontre. »
Ce travail de recherche artistique et psychologique est illustré par la photographie « Les entrelacs. » Cette photographie représente une porte vitrée sur la quelle quelqu’un a projeté de la peinture blanche à la bombe en faisant des entrelacs. Cette image peut être une représentation de la créativité telle que la décrit Max Bilen dans « Dialectique créatrice et Structure de l’œuvre littéraire ». [1] Il décrit ainsi la démarche créative : « Chaque partie se rattache à l’ensemble, s’y relie par voie symbolique dans un jeu sans fin, un réseau qui se tisse au fur et à mesure. La vision artistique ou créatrice implique un rapport sans cesse repris entre le sujet et le cosmos. »
Les entrelacs Il tague la porte vitrée de l’usine désaffectée Tu regardes la transparence qui va de l’univers au secret Je suis enlacée à travers le miroir Annie Boyer-Labrouche
Le film évoque la perte, l’éphémère, la poésie du vide et de la transformation.
Le travail de reconstruction de cette friche par les hommes est lié à la culture et à la création artistique. L’usine Job, construite dans les années 30, est un vaisseau amiral, classé au patrimoine industriel du XX° siècle. Cette usine appartient à l’histoire du quartier des Sept Deniers, à l’histoire industrielle, ouvrière et sociale. En 1838, Jean Bardou, boulanger à Perpignan, crée un petit livret de feuilles de papier à cigarette. Un brevet est déposé en 1849 pour le papier « Job ». « Aux Champs, A la Ville… Partout où il y a des fumeurs…Il y a du Job. » Les artistes de style Art nouveau ont illustré des publicités pour Job, qui font le bonheur des collectionneurs. Cette usine étendue sur 5 hectares fabriquait aussi du papier couché classique pour les éditions de luxe et les musées. Après ce succès, elle connaît dans les années 80 la déchéance, victime de l’industrie papetière et d’escroqueries. Pendant des années, les syndicats se battent, pour les hommes et pour le vaisseau amiral. Un mouvement regroupe les ouvriers, les habitants des Sept Deniers et le milieu culturel toulousain. Le vaisseau amiral est réhabilité, intégrant les espaces intérieurs et extérieurs à un projet culturel. L’usine est devenue un espace culturel et des logements ont été construits sur les friches et en bord de Garonne.
Au Moyen-Age, ce lieu était une vaste lande et des prés. Les capitouls ont accordé aux paysans le droit de pâturage moyennant 7 deniers d’or l’an. Les mots « Sept deniers » constituent encore aujourd’hui le nom du quartier.
Aujourd’hui, grâce à la résilience des lieux et des hommes, le site de « L’Espace Garonne » avec son bâtiment dit Amiral est un nouveau cœur de quartier.
Le film « Métaphore de la friche » expose l’importance de l’individuation, que ce soit pour l’humain ou la nature, grâce à un cheminement. Le bout du chemin est la reconnexion à l’Unité Originelle.
Le texte
Être-soi - Métaphore de la friche, partie 2, « Qui suis-je ? »
Pourquoi, tout au long de ce chemin, vais-je avoir un questionnement identitaire ? J’ai dit que je voulais me connaître. Cela veut donc dire que je ne me connais pas.
Pourtant, je peux me décrire. Je sais que j’ai un corps et un esprit ; je sais ce que j’aime et ce que je n’aime pas. Mais ai-je vraiment l’exigence à être moi-même ? Oui, maintenant cela est mon désir, je veux être moi-même. Je veux poser ma différence. Ainsi, je vais pouvoir identifier mon rôle, ma fonction et entrer en relation avec l’Autre. Je comprends qu’il va falloir chercher au fond de mon être, dans mon noyau intrapsychique. Je comprends qu’en étant sujet, je vais entrer dans l’intersubjectivité, dans l’échange avec l’Autre, lui aussi sujet, que moi je fais sujet. Je comprends que je m’inscris dans une histoire, dans mon histoire intergénérationnelle, dans l’histoire de l’humain, dans l’histoire de ma famille, dans l’histoire de la société, passée et à venir.
Je suis donc moi-même et multiple, ballotté et inscrit. À chaque instant, je vais reconstituer le sens de ma vie. À chaque instant, je vais donner sens. Je vais retisser mon histoire, indéfiniment. Finis mes rêves de consolation ! Mais grâce à ma mémoire, à mon histoire, qui forment un socle auquel je peux m’amarrer, je vogue vers les mois possibles, j’invente ma vie.
Je deviens moi. Moi dans mon intime. L’identité est un récit. Je me récite. Celui qui m’écoute, écoute une histoire. J’espère bien que je le passionne ! Au fur et à mesure de mon récit, je me renarcissise. Je connais mon appartenance, à l’humain, à la tribu, à la famille. Mais, je ne m’y enferme pas. Je suis une friche. Que vais-je faire de ce qu’on a fait de moi ? Voilà ma question.
J’appartiens et je me sépare. Séparé, je suis prêt pour l’interlocution. Je suis interloqué.
Je suis dans le langage. Je suis un humain en relation.
Je suis maintenant, séparé, identifié.
Je peux dire qui je suis. Je peux me regarder, regarder cette friche.
Je suis un espace vacant, supporté par des strates multiformes d’histoires, de béances, de secrets, comme ces paysages urbains, en marge de campagne, ouverts à la nature. Homme en relation avec l’Autre, l’animal, mais aussi le végétal et le minéral, le ciel et l’eau.
Cet espace est à moi, cet espace est moi. J’y jouis et je le façonne.
Je suis un jardin en friche, une maison abandonnée. Je laisse les plantes pousser à foison, envahir.
Je viens de loin ; le vent a transporté la graine. Je suis le palmier, droit dans le ciel, loin de sa terre.
Je suis la maison à reconstruire, celle d’aujourd’hui, celle d’hier ; la cabane de jardin ou l’altière forteresse. Les chats sont mes amis.
Le sauvage se réapproprie l’espace et réinvente mon animalité. Je me régénère.
Je suis un nomade. Je ne sais pas d’où je viens car je ne sais pas d’où vient ma lignée ; tout juste si je connais mes grands-pères. Je suis un gitan. Mon camp est installé là près de l’eau. Je vis avec mes frères, mes semblables. L’eau, puits de vie.
Comme mes ancêtres, ceux qui ont fait l’art, en posant leurs mains sur la paroi de la grotte et en soufflant des pigments avec un roseau, pour faire empreinte, je tague le mur. Même puissance. Même désir. Même abandon.
Je suis tout cela. Je le sais. Maintenant, je suis capable de m’unifier pour être moi, cet individu unique. J’ai pris ce qui vient de l’Autre sans me sentir persécuté. Je donne sans attendre. Je sais jouer les jeux identificatoires. Je sais différencier l’Autre de moi, l’être de l’avoir.
J’accepte en moi le noyau de l’étranger à moi-même, issu de l’inconscient originaire.
Je sais construire et déconstruire, installer mon camp avec mes frères et lever le camp.
Je sais être seul et je sais faire corps avec mon groupe.
Je sais faire avec l’absence et la présence.
Je sais dire non et je sais dire oui, j’accepte. J’accepte d’être mortel. J’accepte l’angoisse de mort. D’autant que j’ai laissé la trace. La trace de ma main sur la paroi de la grotte, le tag sur le mur.
Je connais la surface et la profondeur.
Je suis comme l’écume, multiple et flottante, légère, en perpétuel mouvement, créée par l’eau profonde, celle dont je suis issu.
Le film
Sur une idée d’Annie Boyer-Labrouche
Réalisation Antoine Ferrando
Texte Annie Boyer-Labrouche
Montage et images Antoine Ferrando
Photographie Ulrich Lebeuf
Voix Quentin Siesling
Mixage Frédéric Ambrosio
Notes:
[1] Bilen Max Dialectique créatrice et Structure de l’œuvre littéraire, 1979, Vrin.
Mots-clés : film métaphore de la friche, friche industrielle, usine Job, travail psychique, #individuation
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