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  • Photo du rédacteurAnnie Boyer-Labrouche

Mobilisation

L’heure est grave. Un an que le SARS-CoV-2 envahit le monde et la France. Cette pandémie désorganise l’ordre établi au niveau personnel, de l’État et du Monde. Sciences interrogées, nouvelles technologies en ébullition, choix politiques, déni, peurs, inconnues de l’origine du virus et de l’avenir. On aurait pu penser que les avancées scientifiques et technologiques seraient éclairantes et qu’une coopération mondiale serait possible. Cette crise met en lumière la vulnérabilité de l’homme dans l’environnement, les inégalités, la fragilité de la société, le vieillissement de la population, les comorbidités type obésité, diabète, hypertension, maladies des pays riches. La connaissance ne suffit pas, ni l’expérience. Les avancées technologiques ne peuvent pas être utilisées à la place du bon sens, le politique prendre le pas sur l’humain.



ÉTHIQUE

Il est important de connaître l’origine des choses. Nous savons que la forclusion du nom du père, le secret, l’empêchement de transmettre, sont les ferments de la psychose. Ceci est vrai aussi pour les sciences. Nous sommes obligés de ne pas ignorer la morale et la vérité, en particulier en politique. Pour cela, il ne faut négliger aucun des angles de vue du problème. « Chaque avancée en morale, en politique, en science, a toujours dépendu de cette mise en relation sans laquelle nous serions limités à un seul point de vue érigé par erreur en absolu ». [1] La crise actuelle créée par la Covid-19 met en lumière toutes les difficultés de la « science en action ». Il est fondamental, pour comprendre cette pandémie, d’en connaître l’origine et de mettre en perspective tous les points de vue. Il faut aussi tenir compte de la dimension cognitive : étude des objets, construction de la vérité. Chercher la vérité. « Les objets ne sont pas tant étrangers au corps social, ni en bien ni en mal. Les associations des humains et des non-humains ne résistent pas aux tiraillements contradictoires des épistémologues et des humanistes, les uns voulant en extraire les purs objets rationnels, et les autres les purs sujets de droit ». [1] Cette crise pose la double question de l’origine de la pandémie et de la mort.


L’origine


Plusieurs acteurs jouent la pièce. Trois principaux, l’homme, le coronavirus et la chauve-souris. Lieux : La Chine, puis le monde entier. Le temps, à déterminer ; le temps de l’incubation de l’épidémie, de quelques mois à quelques années ou beaucoup plus. Les acteurs ont vite été identifiés, homme souvent âgé avec des comorbidités, le virus SARS-Cov-2 dont le génome est très vite connu et la chauve-souris infectée par des coronavirus. La question de l’origine de la pandémie pose d’emblée la question du lien entre l’homme et l’animal, dans le monde vivant. On sait que les hommes ont fréquenté des dortoirs de chauve-souris dans des grottes, dans la région du Yunnan, et que ces mineurs sont morts de maladies pulmonaires. Le virus retrouvé est un coronavirus, le TaTG13 proche du SARS-CoV-2. On sait aussi que certains marchés foisonnent de bêtes de tous poils ou écailles, dont certains appartiennent à la faune sauvage. On sait que les hommes font des recherches sur les coronavirus dans des laboratoires. Il s’agit de les collecter dans la nature, de séquencer les génomes et de mener des expériences. De nouveaux outils permettent de modifier facilement le patrimoine génétique des êtres vivants, hommes, animaux, plantes. L’outil est le CRISPR, ciseau génétique, mis au point en 2012 par Emmanuelle Charpentier, prix Nobel. Il est très facile à se procurer et à utiliser. Un brin d’ARN permet de guider l’enzyme Cas9, chargée de couper l’ADN. La cellule essaie de réparer, ce qui a pour conséquence, d’éteindre le gène, de repérer une séquence ou de faire un patron pour réparer. Les applications sont déjà nombreuses, suppression de la myostatine chez le beagle pour augmenter sa musculature et le faire courir plus vite, création d’aliments génétiquement modifiés… Certaines modifications restent indétectables au sein du patrimoine génétique. En ce qui concerne le SARS-CoV-2, la protéine Spike joue un rôle fondamental dans la capacité d’infection du virus car elle contient un domaine RBD qui a la caractéristique de se lier à certains récepteurs ACE2 situés à la surface des cellules infectables. Cette liaison favorise la pénétration du virus dans les cellules. Le gène codant la protéine Spike contient 4 insertions de courtes séquences non retrouvées jusque-là, donnant des propriétés remarquables. Les 3 premières jouent un rôle dans l’échappement au système immunitaire. La quatrième insertion fait apparaître un site sensible aux furines, enzymes protéases produites par les cellules de l’hôte. Le clivage de Spike par les furines induit un changement de conformation favorisant la reconnaissance du récepteur ACE2. On note des similarités avec des séquences de fragment de VIH-1. 3 des 4 insertions se retrouvent dans des souches plus anciennes de coronavirus. La quatrième est absente dans la famille des SARS-CoV-2. On sait donc qu’il est, grâce aux nouveaux outils, facile d’obtenir ou de générer une séquence génétique, qu’il existe des bases de données accessibles à tous les chercheurs, qu’il est impératif d’encadrer les procédures de « gain de fonction », dans les recherches sur les virus. [2]


Étudier l’origine du virus relève de la démarche scientifique. À l’aide de séquençages, d’analyses bio-informatiques, les études permettront d’écrire l’histoire du virus, de mettre en place des outils de prévention dans les écosystèmes, et de trouver des traitements. Le complexe de réplication du SARS-CoV-2 est une cible de choix pour les inhibiteurs antiviraux recherchés par criblage moléculaire. On cherche à mettre en œuvre des repositionnements d’antiviraux, en faisant un screening (criblage moléculaire), à partir de chimiothèques dédiées. Il semble fondamental d’investir beaucoup d’argent pour trouver rapidement des traitements efficaces.


La mort


Cette pandémie oblige à la confrontation à la mort. De façon brutale. Le réel de la maladie et du décès se fracasse sur la représentation inconsciente personnelle et collective de la mort. Il n’y a aucun temps de préparation mentale à une telle destinée et cela influencera le travail de deuil. Il faudra soigner d’éventuels deuils pathologiques. La contagiosité du virus rend inhumain le vécu de milliers de personnes, malades ou mourantes, et de leurs familles. Ne pas pouvoir se dire au revoir, mourir seul, en s’étouffant. Le corps est traité de manière particulière, en raison des risques de contagion et n’est pas présenté. Les rituels sont absents. Le traumatisme psychique collectif passe sous silence.


SOUFFRANCE

La souffrance morale est à son acmé dans cette mort solitaire et ce deuil impossible. Elle existe dans tous les secteurs de la vie sous Covid-19. C’est l’isolement qui est le plus difficile à supporter pour une très grande partie de la population. La situation est insupportable pour les étudiants enfermés dans leurs chambres, privés de tous les plaisirs et expérimentations d’une jeune vie sociale. L’isolement est renforcé dans les lieux collectifs, avec l’enfermement dans la chambre de l’Ehpad ou la cellule des prisons. Cette situation est aggravée, au niveau moral, par la pression de mesures portées par de bons sentiments, mais qui peuvent se révéler arbitraires, voire autoritaires. Qu’en est-il du consentement éclairé d’une personne fragile, interpellée par plusieurs personnes ayant autorité sur elle ?


La souffrance morale des personnes qui ne peuvent plus travailler. La douleur de ne pas exercer sa passion, de ne pas gagner d’argent, sans aucune perspective de reprise. Lit des troubles du sommeil, des dépressions, des suicides. Ce sont les métiers d’indépendants, de passionnés, de faire du bien aux autres qui sont touchés, culture, haute cuisine, tout ce qui fait du beau et bon ou donne du plaisir ! L’économie des entreprises ne se porte pas si mal, même si c’est sous perfusion, mais des pans entiers de la société sont bloqués depuis une année.


La souffrance physique est aussi très importante et banalisée, voire déniée. Souffrance des personnes dont la Covid s’aggrave et qui doivent être placées en réanimation. « On va vous intuber ». Angoisse des familles qui n’ont pas de droit de visite. Réveils terribles des réanimés avec des perspectives de rééducation très longues et incertaines. Il semble que le transfert de patients ligotés sur leurs brancards à roulettes à des milliers de kilomètres de leur domicile, va se développer. Encore plus terrible de s’éveiller, totalement confus, sans visite, dans un endroit inconnu, avec des inconnus. Terreur absolue. Souffrance des personnes atteintes de Covid long. Elles subissent sur le long terme des symptômes variables très invalidants et angoissants : fatigue, douleurs thoraciques, perte de l’odorat, paralysies…qu’on ne sait pas soigner. Comment en arrive-t-on là, un an après le début de la pandémie, dans un pays riche et développé, avec des scientifiques et chercheurs de haut niveau, alerté par ce qui arrive dans d’autres pays quelques mois plus tôt ?


MOBILISATION

Si les choses restent en l’état, avec le virus qui circule, le coût humain va être énorme. Qu’accepte-t-on ? 400 décès par jour, des milliers de personnes souffrant de séquelles, des pans entiers de la société à l’arrêt, un coût financier démesuré. Le confinement en dernier recours ? Nous ne tirons pas de leçons des expériences passées, des mois précédents ou du vécu ancestral, puisque les épidémies existent depuis la nuit des temps. Nous savons, par exemple, que lors des épidémies de peste, on isolait les malades. Les progrès de la science devraient permettre que la maîtrise de l’épidémie Covid-19 soit possible. Pourquoi cela ne se fait pas ? Dans une société habituée au confort, au plaisir, à l’individualisme, il a été oublié que le risque épidémique existe, qu’il faut anticiper, se préparer, agir en collectif, se responsabiliser. Les mots-clés de la maîtrise d’une épidémie sont : « Tester-Tracer-Isoler ». Nous n’y sommes jamais arrivés. On préfère des actions spectaculaires, comme le transfert de patients, à une application rigoureuse des protocoles dans le quotidien, le b.a.- ba. Au niveau scientifique, le génome du virus a été très vite connu et partagé. On reconnaît la contagiosité par voie aérienne. On a négligé l’importance des cas asymptomatiques, cette connaissance nécessitant une rigueur encore plus grande du testing et de l’isolement. Aujourd’hui, on néglige la nuisance des variants. Développer les séquençages, les tests salivaires, les auto-tests. Faire de la pédagogie, sans cesse. Expliquer ce qu’est cette épidémie : historique, modes de contagion, variants. Laisser la population s’organiser. Référents Covid dans les universités, formés pour que les cours puissent avoir lieu en sécurité. Dans les écoles, dans les magasins, dans les lieux de culture. Référents faisant du porte-à-porte pour aider les personnes en isolement. UNE MOBILISATION GÉNÉRALE DE LA POPULATION. Pour rester dans la métaphore militaire, puisqu’elle a été employée il y a un an, création de brigades au service de tous. Collaboration et coopération totale entre le public et le privé, pour donner les soins. Chacun dans son rôle, au service de tous. Pour éviter un enlisement, avec une circulation interminable du virus, un coût financier faramineux, un coût humain inacceptable. Multiplier les études pour trouver des traitements. Vacciner, mais avec mesure et précaution. Beaucoup de choses sont à étudier : efficacité sur quoi, durée de l’immunité, effets secondaires à court, moyen et long terme. Par exemple, l’étude Monitocov Aging recherche l’efficacité du vaccin Pfizer sur le sujet âgé, à 3 mois et 9 mois après l’injection. Tenir compte de l’évolution des variants ; est-ce qu’un début de vaccination de masse ne va pas faire exploser les mutations ?


Grâce à la mobilisation de tous, dans un contexte de transparence, d’équité, de respect, d’efficacité, d’éducation, de pédagogie, une vision est nécessaire pour sortir de cette terrible épidémie. La bienveillance et la cohérence pourraient réduire les souffrances morales et physiques. L’union devrait permettre de mettre en place une organisation implacable, en faisant appel aux savoirs et à l’altruisme de chacun. Motiver les troupes pour le bien de tous. Pour Emmanuel Hirsch, « L’heure de vérité pourrait être tragique ». Nous pouvons reprendre les réflexions des 5 membres du Conseil Scientifique compilées dans « L’Ethique au cœur des soins ». [3] Etablir un contrat social. Mesurer les risques d’échappement à l’immunisation vaccinale du fait des variations virales. Convenir ensemble des risques à assumer et les hiérarchiser. Raffermir les liens sociaux par un savoir-faire et un savoir-vivre. Chasser toute pensée magique. Évaluer et choisir les renoncements. Par exemple, les jeunes accepteraient le masque et les gestes barrières, les plus âgés s’auto-confineraient afin de ne pas, en plus du désastre, créer un conflit irrémédiable de génération.


 

Notes:

[1] Latour Bruno. La science en action. La découverte poche, 2005.

[2] Etienne Decroly, « La question de l’origine du SARS-CoV-2 se pose sérieusement », entretien, par Yaroslav Pigenet, CNRS, Le journal, 27/10/2020.

[3] Laëtitia Atlani-Duault, Bruno Lina, Franck Chauvin, Jean-François Delfraissy, Denis Malvy. « Immune evasion means we need a new COVID-19 social contract », The Lancet Public Health, february 18, 2021.


Mots-clés : Pandémie, Covid-19, SARS-CoV-2, Origine, Mobilisation

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